Sagesse de Rabbi Sacks
Sagesse, de Rabbi Sacks
La bonté des étrangers (Chayei Sarah)
0:00
-9:15

La bonté des étrangers (Chayei Sarah)

La Torah commence par un acte de bonté et se conclut par un acte de bonté.

4ème Yartzeit de Rabbi Sacks : jeudi 21 novembre

Chers amis,

Pour le 4ème Yartzeit de Rabbi Sacks et en son hommage, le Centre Européen du Judaïsme et l’association Les Amis du Rav Sacks organisent une soirée exceptionnelle sur le thème Le peuple du Livre, pérennité d’Israël :

  • le Jeudi 21 novembre

  • à 20h30

  • au CEJ, 10 place de Jérusalem, 75017 Paris

4 tables rondes interactives seront animées par 4 intervenants, suivies d’un dîner traiteur.

Vous pourrez vous inscrire sur le site du CEJ en cliquant sur ce lien.

Bien à vous,

Laurent


La bonté des étrangers

Chayei Sarah, Genèse 23:1 - 25:18

Texte traduit par Liora Chartouni.

hand-2326058_1920-1600x1066.jpg

En 1966, un jeune garçon noir de onze ans a déménagé avec ses parents dans un quartier blanc de Washington. Assis sous le porche de la maison avec ses deux frères et ses deux sœurs, il attendit de voir comment ils seraient accueillis. Ils ne le furent pas. Des passants marchaient devant eux mais personne ne leur fit un sourire ou même ne leur lancèrent un regard pour reconnaître leur présence. Toutes les histoires d’horreur sur la manière dont les blancs traitaient les afro-américains semblaient être vraies. Des années plus tard, il écrit sur ses premiers jours dans leur nouvelle demeure : “Je savais que nous n’étions pas les bienvenus ici. Je savais que nous ne serions pas appréciés ici. Je savais que l’on n’aurait pas d’amis ici. Je savais que l’on n’aurait jamais dû déménager ici...”

Alors que ces pensées lui passaient par la tête, une femme blanche revenant du travail est passée de l’autre côté de la rue. Elle s’est tournée vers les enfants avec un grand sourire et s’est exclamée : “Bienvenue !” Elle a disparu à l’intérieur de la maison, elle en est ressortie quelques minutes plus tard avec des boissons et des sandwichs qu’elle distribua aux enfants, leur permettant de se sentir à l’aise. Ce moment changea la vie du jeune garçon. Cela lui donna un sentiment d’appartenance là où il n’en ressentit pas auparavant. Cela lui fit réaliser, à une époque où les relations raciales aux États-Unis étaient toujours tendues, qu’une famille noire pouvait se sentir chez elle dans un quartier blanc et qu’il pouvait y avoir des relations qui ne se bornaient pas à la couleur de peau. Avec les années, il a appris à admirer la femme de l’autre côté de la rue, mais ce fut ce premier acte accueillant spontané qui est devenu pour lui un souvenir définitif. Cela permit de mettre à bas un mur de séparation et de transformer des étrangers en amis.

Le jeune homme, Stephen Carter, est finalement devenu un professeur de droit à l’Université de Yale, et a écrit un livre en 1999 sur ce qu’il a appris cette journée-là. Il l’a appelé Civility1. Le nom de cette femme, raconte-t-il, fut Sara Kestenbaum, et elle est décédée bien trop tôt. Il ajoute que ce n’était guère une coïncidence qu’elle fût juive et pratiquante. “Dans la tradition juive”, ajoute-t-il, est appelé ‘hessed, “des actes de bonté qui dérivent de la vision selon laquelle les êtres humains sont conçus à l’image de D.ieu.” “La civilité”, ajoute-t-il, “peut être perçue comme faisant partie du ‘Hessed : elle requiert effectivement une bonté envers nos concitoyens, incluant ceux qui sont des étrangers, et même lorsque cela est difficile”. “Jusqu’à ce jour, ajoute-t-il, “je peux fermer les yeux et ressentir sur ma langue la délicatesse de cette crème glacée et ces sandwichs à la confiture que j’ai mangé cet après- midi d’été lorsque j’ai découvert qu’un simple geste de civilité modeste et sincère peut changer une vie à jamais”2.

Je n’ai jamais rencontré Sara Kestenbaum, mais des années après avoir lu le livre de Carter, j’ai livré un discours à une communauté juive dans la région de Washington où elle habitait. Je leur ai raconté l’histoire de Carter, dont ils n’avaient jamais entendu parler auparavant. Mais ils ont tous hoché de la tête en guise d’approbation. “Oui”, l’un a-t-il dit, “c’est le genre de chose que Sara faisait”.

Quelque chose de semblable trottait sûrement dans la tête du serviteur d’Abraham, non mentionné dans le texte mais traditionnellement nommé Eliézer, lorsqu’il arriva à Nahor dans le Aram Naharaim, situé au nord-est de la Mésopotamie, afin de trouver une femme pour le fils de son maître. Abraham ne lui avait pas dit de rechercher des traits de caractère en particulier. Il lui avait simplement dit de trouver quelqu’un de sa propre famille éloignée. Eliézer formula un test :

“Seigneur, D.ieu de mon maître Abraham ! daigne me procurer aujourd'hui une rencontre et sois favorable à mon maître Abraham. Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l'eau. Eh bien ! la jeune fille à qui je dirai : ‘Veuille pencher ta cruche, que je boive’ et qui répondra : ‘Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux’, puisses-tu l'avoir destinée à ton serviteur Isaac. Par cela, je saurai que tu auras montré ta bonté (‘Hessed) envers mon maître !” (Genèse 24:12-14)

Son emploi du mot ‘Hessed, bonté, dans ce contexte n’est guère un accident, car il s’agit de la caractéristique qu’il recherche chez la future femme du premier enfant juif, Isaac, et il l’a trouvé chez Rebecca.

C’est également le thème du livre de Ruth. C’est la bonté de Ruth envers Naomi et de Boaz envers Ruth que le Tanakh cherche à accentuer pour élargir l’arrière-plan sur David, leur arrière-petit-fils, qui deviendrait un jour le plus grand roi d’Israël. En effet, les Sages ont dit que les trois caractéristiques les plus importantes du juif sont la modestie, la compassion et la bonté3. Le ‘Hessed, que j’ai défini autre part par “l’amour par l’action”4, est central au système de valeur juif.

Les Sages se sont basés sur les actions de D.ieu lui-même. Rav Simlai a enseigné :

La Torah commence par un acte de bonté et se conclut par un acte de bonté. Elle débute par D.ieu qui vêtit Adam et Ève : “L'Éternel-D.ieu fit pour l'homme et pour sa femme des tuniques de peau, et les en vêtit” (Genèse 3:21) et se termine par D.ieu qui se préoccupe des morts: “Il fut enseveli (Moïse) dans la vallée du pays de Moab”. (Deutéronome 34:6) (Talmud Bavli, Sota 14a)

Le ‘Hessed, donner un toit aux sans-abris, de la nourriture aux nécessiteux, de l’aide aux pauvres, visiter les malades, réconforter les endeuillés et offrir un enterrement digne à tous, fait partie intégrante de la vie juive. Durant les nombreux siècles d’exil et de diaspora, les communautés juives s’articulèrent autour de ces besoins. Il existait des ‘hevrot, “des associations d’entraide” pour chacun d’eux.

Par exemple, au dix-septième siècle à Rome, il existait sept sociétés différentes consacrées à la distribution de vêtements, de chaussures, de draps, de lits et de couvertures d’hiver chaudes pour les enfants, pour les nécessiteux, pour les veuves et les prisonniers. Il existait deux sociétés qui offraient des trousseaux, des dots et des bijoux aux fiancées nécessiteuses. Il y en avait une pour rendre visite aux pauvres, une autre pour aider les familles qui avaient perdu un être cher et d’autres pour accomplir les derniers devoirs envers les défunts, la purification avant l’enterrement, et l’enterrement lui-même. Onze associations avaient été créées à des fins éducatives et religieuses, pour la prière et l’étude, une autre pour lever des fonds à destination des juifs qui habitaient en terre sainte, et d’autres s’impliquaient dans les diverses activités liées à la circoncision des nouveaux-nés garçons. Et d’autres encore ont donné aux pauvres la capacité d’accomplir certains commandements tels que la pose de Mézouzot à leurs portes, de l’huile pour l’allumage des bougies de ‘Hanouka, et les bougies pour Chabbath5.

Les Sages ont affirmé que le ‘Hessed est plus élevé que la Tsédaka à certains égards :

Nos Sages ont enseigné : la bonté (‘hessed) est plus élevée que la charité (Tsédaka) sur trois plans. La charité se fait avec l’argent, alors que la bonté peut être accomplie par l’argent ou par d’autres gestes. La charité est donnée aux pauvres seulement, alors que la bonté peut être délivrée à la fois aux pauvres et aux riches. La charité est donnée aux vivants uniquement, alors que la bonté peut être réalisée auprès des vivants comme des morts. (Talmud Bavli, Soucca 49b)

Les diverses facettes du ‘Hessed sont devenues synonymes de la vie juive et l’un des piliers sur lequel elle se tient. Les juifs ont accompli des actes de bonté les uns envers les autres car cela représentait “le chemin d’Hachem” et également parce qu’eux-mêmes ou leurs familles avaient connu des souffrances et qu’ils n’avaient nul part où aller. Cela apporta des moments de grâce dans les époques sombres. Cela permit d’adoucir le coup de massue que la perte du Temple et de ses rituels a représenté :

Une fois, alors que Rabbi Yo’hanan marchait hors de Jérusalem, Rabbi Yéochoua le suivait. Voyant le Temple en ruines, Rabbi Yéochoua s’écria, “Malheur à cet endroit qui est en ruine, l'endroit ou l’expiation a été conçue pour les iniquités du peuple.” Rabbi Yo’hanan lui répondit : “Mon fils, ne pleure pas, car nous avons un autre moyen d’expiation qui n’est pas moins efficace. Quel est-il ? Il s’agit des actions de bonté, comme il est écrit : “C'est que je prends plaisir à la bonté et non au sacrifice” (Osée 6:6)6.

Grâce au ‘Hessed, les juifs ont humanisé les destin tout comme, selon leurs croyances, le ‘Hessed de D.ieu a humanisé le monde. Puisque D.ieu agit envers nous avec amour, nous avons le devoir d’agir avec amour les uns envers les autres. Le monde ne fonctionne pas seulement sur la base de principes interpersonnels comme le pouvoir et la justice, mais également sur une base personnelle profonde de vulnérabilité, d’attachement, de souci et de préoccupation, se reconnaître en tant qu’individus avec des besoins et un potentiel unique.

Il ajouta également un mot dans la langue anglaise. En 1535, Myles Coverdale a publié la toute première traduction de la Bible hébraïque en anglais (le travail avait été commencé William Tyndale qui l’a payé de sa vie, brûlé au bûcher en 1536). C’est lorsqu’il arriva au mot ‘Hessed qu’il réalisa qu’il n’existait aucun équivalent en anglais pour en caractériser le sens. C’est alors qu’il inventa le mot “loving-kindness” (bienveillance en français).

Rabbi Abraham Yéochoua Heschel avait l’habitude de dire : “Lorsque j’étais jeune, j’admirais l’ingéniosité. Maintenant que je suis vieux, j’admire bien davantage la bonté”. Il y a une grande sagesse dans ces mots. C’est ce qui a mené Eliezer à choisir Rébecca comme femme pour Isaac, qui fut ainsi la première épouse juive. La bonté transforme le monde, et dans le cas de Stephen Carter, elle peut changer des vies. Wordsworth avait raison lorsqu’il écrivit que

“la meilleure chose dans la vie d’un homme bon (et d’une femme bonne), ce sont leurs petits actes de bonté et d’amour, anonymes, aussi peu reconnus et remémorés soient-ils”7.

1

Pourquoi pensez-vous que le ‘Hessed soit devenu le synonyme de vivre une vie juive?

2

Quelle est la différence entre ‘Hessed et Tsédaka? Dans quelle mesure le ‘Hessed est-il plus élevé ?

4

Jonathan Sacks, To Heal a Fractured World, pp. 44-56.

5

Israel Abrahams, Jewish Life in the Middle Ages, London, Edward Goldston, 1932, pp. 348-363.

6

Avot déRabbi Nathan, 4.

7

De son poème, ‘Tintern Abbey’.


Série : Essais sur l’éthique

Livre : A- Bereshit

Parasha : A05- Chaye Sarah, Genèse 23:1 - 25:18

Page d’origine : The Kindness of Strangers

Discussion à propos de cet épisode

Avatar de User