Sagesse de Rabbi Sacks
Sagesse, de Rabbi Sacks
Repenser l'échec
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Repenser l'échec

En prévision de Rosh Hashanah et de Yom Kippour, Rabbi Sacks a enregistré une série de trois enseignements pour explorer certains des thèmes clés des Yamim Noraim, les Jours de Pénitence.

Repenser l'échec

Pensée Juive

Texte traduit par Laurent Beyer.

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Je vais vous raconter l’histoire de Suzanne Perlman de mémoire bénie, décédée en 2021 à l’âge de 97 ans.

Elle est née en 1922 à Budapest, où ses parents avaient une galerie d'art. En 1940, elle s'est mariée à Rotterdam en Hollande. Et trois jours seulement avant que les nazis n'envahissent la Hollande, elle et son mari ont réussi à s'échapper à Paris. Ils ont dû sauter dans un train déjà en mouvement pour Bordeaux. Et de Bordeaux, elle a pu prendre un bateau pour Curaçao, où elle a vécu pendant de nombreuses années.

Elle et son mari tenaient leur propre galerie d'art et d'antiquités à Curaçao, et la plupart des clients de la boutique venaient des navires de croisière qui s'y arrêtaient. Certains d'entre eux étaient vraiment riches. Un jour, une femme très, très riche est entrée dans le magasin et a demandé à Suzanne si elle avait des chaussures à vendre du célèbre designer français, Monsieur Damagé.

Non seulement Suzanne n'avait pas de chaussures Damagé, mais en plus elle n'avait jamais entendu parler de ce Monsieur Damagé. Alors elle a dit à la femme : « Pourrais-je vraiment voir une chaussure et peut-être que je trouverai quelqu'un à Curaçao qui pourra vous en obtenir ? » La femme a enlevé la chaussure et Suzanne l'a regardée et l'a retournée. Et là, sur la semelle, elle a vu quelque chose d'écrit et elle a immédiatement compris. Le mot « Damaged », endommagé en anglais, était écrit sur la semelle de la chaussure. En d'autres termes, c'était une chaussure défectueuse qui a clairement été vendue à un prix bon marché. Et au fil du temps, le « d » final de « Damaged » avait été effacé et vous pouviez le lire comme « Damagé ». Cette femme avait alors supposé que ce fût le nom d'un créateur français de chaussures. « Ne vous inquiétez pas », dit Suzanne, « je vous trouverai des chaussures identiques. » C’est la fin de l’histoire.

Il est assez agréable de penser à la façon dont, pour tout le monde, une paire de chaussures ayant un défaut de production, deviendrait une marchandise endommagée et être malgré tout vendue. Mais pour la personne qui la portait, cette paire était spéciale, exclusive, précieuse. Elle était celle de Monsieur Damagé.

Et j'ai pensé, n'est-ce pas le cas pour la plupart d'entre nous ? Parce qu’à Rosh Hashanah, Yom Kippour, et certainement durant la récitation des Selichot, ne sommes-nous pas tous conscients que nous sommes en fait des marchandises endommagées ? Nous avons des défauts, nous avons des failles, nous avons des échecs. Mais que se passerait-il si nous changions de paradigme ? Et si nous étions réellement capables de nous voir comme spécialement conçus par Monsieur Damagé ? En supposant que nos échecs soient en fait nos forces ? En supposant que notre incapacité à faire X, était une capacité à faire Y ?

Et puis j'ai commencé à penser aux personnages bibliques à qui cela pourrait s'appliquer. Je pense par exemple à Lévi, le troisième fils de Jacob, qui avait un tempérament féroce et dangereux. À tel point que Jacob, sur son lit de mort, a maudit son fils. Et pourtant c'est Lévi qui, deux générations plus tard, a produit les trois grands leaders du peuple juif tout au long des années passées dans le désert : Aaron, Miriam et Moïse.

Nous savons que Moïse avait une partie de cette colère de Lévi en lui-même, mais elle s’est transformée en une indignation juste et une passion pour la justice. J'ai souvent pensé à Moïse qui n'arrêtait pas de répêter encore et encore à D.ieu : « Je ne peux pas parler ». Mais pourquoi D.ieu l'a-t-il choisi lui, Moïse, pour être son porte-parole ? Après réflexion, peut-être que Moïse, parce qu'il ne pouvait pas parler, a appris à écouter. Et c'est peut-être vraiment ce dont nous avons besoin dans notre relation avec notre entourage et avec D.ieu. Ce que Moïse pensait être sa faiblesse était en fait sa force, sa capacité à écouter.

Rabbi Akiva souffrait d'un problème terrible qui, selon la Gemara, l’a empêché d’étudier avant d’avoir l’âge de 40 ans. Mais lorsque vous commencez à apprendre aussi tardivement, vous avez un avantage sur tous ceux qui commencent plus tôt : c'est plus difficile pour vous, ce qui signifie que vous devez travailler beaucoup plus. Et, à la fin, vous devenez Rabbi Akiva, le plus grand enseignant de sa génération, parce qu'il a compris à quel point l'apprentissage est difficile. Reish Lakish, dont la première carrière était d’être une tête brûlée, un bandit de grand chemin, un homme de violence, est devenu ensuite un maître de la repentance, un baal teshuvah. Et parce qu’il avait l’histoire la plus inhabituelle de tous les autres Amoraim, il a dit certaines des plus belles choses au sujet du pouvoir de la repentance, la teshuvah, car il a été forcé de la vivre.

En 2021, nous avons perdu l'un des enseignants et chercheurs les plus exceptionnels de notre génération, Rav Adin Steinsaltz, de mémoire bénie. Adin ne provenait pas d'un milieu conventionnel. La première chose qu'il disait aux gens qu’il rencontrait était que son père fut laïc et athée. Et pourtant, son père l'a envoyé en Yeshiva car il disait : « Je veux que mon fils soit un apikores, mais pas un am ha'aretz. » - Je veux que mon fils soit un hérétique mais pas un ignorant. Quand vous avez un père comme ça et que vous venez d'un tel milieu, quand vous venez du monde laïque et que vous voulez apprendre le Talmud, c'est une énorme montagne à gravir. Mais cela signifiait qu'Adin était capable de rendre le Talmud accessible aux laïcs, parce qu'il avait été forcé de le faire pour lui-même.

Beaucoup des faiblesses que nous avons en nous sont en fait des forces, et nous n'avons pas encore découvert comment les utiliser. Ou, moins dramatiquement, en nous concentrant sur nos faiblesses, nous ne parvenons pas à rechercher et à trouver nos propres forces.

La vérité est qu'il y a une bénédiction inhabituelle, que nous faisons après avoir bu un verre d'eau. La bénédiction dit : « Borei nefashot rabbot v'chesronan », « Qui crée de nombreuses âmes et leurs carences ». On comprend par une lecture simple de la bénédiction  : « Même une carence est le don de Dieu. » Même une carence a été conçue par Monsieur Damagé. Ainsi, une image de soi négative nous empêche parfois de faire le bien que nous pourrions réellement faire. C’est pourquoi il faut essayer de lutter contre l'image négative que les gens ont d’eux-mêmes.

L'un des plus grands avocats de la Grande-Bretagne à l'époque récente était Peter Lord Taylor, qui a été nommé Master of the Rolls (le second juge le plus important de la Grande-Bretagne) puis Lord Chief Justice, le juge en chef de la Grande-Bretagne. Juif, mais pas terriblement frum, sa nomination était un grand Kiddush Hashem, une grande Sanctification du Nom divin. Tout le monde savait que Peter Taylor avait été non seulement le juge en chef de la Grande-Bretagne, mais également un juge très spécial et remarquable.

Lorsque Rabbi Sacks l'a rencontré pour la première fois alors qu’il était encore Grand Rabbin, Peter lui a dit : « Grand Rabbin, que feriez-vous avec un vieux pécheur méchant comme moi ? » Et Rabbi Sacks lui a répondu : « Peter, je ne peux pas permettre que le Lord Chief Justice soit maltraité comme ça. », et il a rajouté : « Les Sages ont dit : Chaque juge qui prononce un verdict vrai devient un partenaire du Saint, Béni soit-Il, dans l'œuvre de la création. » Peter a rougi et a dit que c'était la chose la plus gentille que l'on n’ait jamais dite de lui. En fait, c’était un homme merveilleux qui ne voulait tout simplement pas se voir comme un homme merveilleux.

Nous sommes tous capables d'un grand bien. Et nous ne devrions jamais dire : « Je ne peux pas le faire, Je ne suis pas à la hauteur, Je suis une marchandise endommagée. » Non, la vérité est que nous sommes chacun le produit rare et spécial de Monsieur Damagé.

Dans l'année à venir, puissions-nous faire le bien que Hashem a besoin que nous fassions. Puissions-nous faire le bien que nous devons, que nous devrions et que nous pouvons.

Shanah Tovah.


Page d’origine : Rethinking Failure

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