Chers amis,
Alors que la Torah nous commande de célébrer les fêtes dans la joie, nombreux sont ceux qui voient arriver avec inquiétude Simchat Torah, le dernier jour le plus festif de la fête de Souccot et qui a été choisi par le Hamas pour commettre son pogrom l’année dernière.
Rabbi Sacks nous offre un enseignement fondamental sur le sens profond de la joie, pour nous aider à nous focaliser sur l’essentiel.
Chag Sameach
Laurent
Kohelet (Ecclésiaste) : La joie radicale
Pensée Juive
Texte traduit par Laurent Beyer.
La signification de Kohelet, la Megillah que nous lisons pendant Succot, dépend d'un mot : hevel. Il apparaît 38 fois, soit plus de la moitié de toutes ses apparitions dans le Tanach, la Bible hébraïque. Aucun autre livre n'annonce son thème de manière plus catégorique en utilisant un mot cinq fois dans une seule phrase, la deuxième phrase du livre : « Hevel de hevels », dit Kohelet, « hevel de hevels, tout est hevel » (Kohelet 1:2). Que signifie le mot ? Il a été traduit par « inutile », « sans signification », « futile », « vide », « vapeur », « fumée », « insubstantiel », « absurde », « vanité », mais la signification principale est « souffle ».
Les mots hébreux pour « âme », parmi eux nefesh, ru'ach et neshamah, ont tous à voir avec l'acte de respirer. Hevel signifie spécifiquement « un souffle superficiel ». Ce qui obsède Kohelet, c'est que tout ce qui sépare la vie de la mort est un souffle superficiel. Il est obsédé par la fragilité et la brièveté de la vie par rapport à l'éternité apparente de l'univers. Le monde dure pour toujours. Mais comme nous le disons dans le texte Unetaneh tokef que nous lisons à Rosh Hashanah et Yom Kippour, nous sommes « comme un éclat brisé, comme de l'herbe séchée, comme une fleur fanée, une ombre éphémère, un nuage qui passe, un souffle de vent, de la poussière tourbillonnante, un rêve qui s'échappe, la poussière que nous sommes et à la poussière nous revenons ».
Kohelet est une méditation soutenue sur la mortalité, l'une des plus profondes de toute la littérature. Il est traumatisé par la légèreté insupportable de l'être : le fait que la vie soit vécue vers la mort et que nos jours soient comptés. Comme Moïse, pour chacun de nous, il y aura un Jourdain que nous ne traverserons jamais, un épanouissement que nous ne vivrons jamais. Nous ne savons pas et ne pouvons pas savoir combien de temps nous vivrons, mais la vie semblera toujours trop courte. Nous sentons maintenant le drame de Souccot vu à travers les yeux de Kohelet. Pendant 10 jours, à partir de Rosh Hashanah et atteignant un point culminant à Yom Kippour, nous avons prié zachreinu l'chaim, « Souviens-toi de nous pour la vie, Roi qui désire la vie, et écris-nous dans le Livre de la Vie pour Ton bien, D.ieu de la vie ».
Maintenant, après avoir survécu au procès de Yom Kippour, vient la question la plus profonde de toutes : qu'est-ce que la vie ? Quel est ce cadeau qui nous a été accordé ? Qu'est-ce qui donne à la vie un sens, un but, une substance ? Qu'est-ce qui nous rachète de l'ombre de la mort ? La réponse de Kohelet est, en un mot, la joie, la simcha. Ce qui rachète la vie et la grave avec le charisme de la grâce, c'est la joie dans votre travail : « doux est le sommeil de l'homme qui travaille » (Kohelet 5:11) ; la joie dans votre mariage : « voyez la vie avec la femme que vous aimez » (Kohelet 9:9) ; et la joie dans les plaisirs simples de la vie : « prenez de la joie chaque jour ». Simcha, la joie, n'implique pas un jugement sur la vie dans son ensemble contrairement au bonheur. La joie se vit dans l'instant. Elle ne pose aucune question sur demain, elle célèbre le pouvoir du présent.
Le Talmud dit que Hillel a vécu selon le principe « baruch Hashem yom yom », « béni soit D.ieu jour après jour » (Beitza 16a). C'est ce que fait la joie, elle bénit D.ieu jour après jour. Elle célèbre le simple fait d'être ici, maintenant, d’exister, alors que nous n'aurions peut-être pas pu le faire. Inhaler pleinement ce jour, cette heure, cette éternité en un instant, qui n'était pas avant et ne le sera plus. La joie embrasse la contingence de la vie : elle sait qu'hier est passé et que demain est inconnu. Elle ne demande pas ce qui était ou sera : elle ne fait aucun calcul. C'est un état de gratitude radicale pour le don d'être. Même à une époque où la quête du bonheur introuvable est trop lourde, il peut encore y avoir de la joie.
Rainer Maria Rilke, un auteur autrichien du début du XXe siècle, a écrit dans l'une de ses lettres en 1914 : « La réalité de toute joie dans le monde est indescriptible, c’est seulement dans la joie que la création se produit (le bonheur, au contraire, n’est qu’un modèle prometteur et interprétable de choses déjà existantes) ; la joie, en revanche, est une merveilleuse augmentation de ce qui existe déjà, une pure addition à partir du néant » (Lettre à Ilse Erdmann, 31 janvier 1914). Ce qui a sauvé Kohelet, c'est sa prise de conscience tardive que la joie rachète la vie de l'ombre de la mort. La joie ne se demande pas combien de temps elle durera. Elle dévoile le caché dans l’ici et maintenant. Oui, la vie est parfois injuste et le monde injuste, mais la brièveté même de la vie rend chaque instant précieux.
La joie dit d'arrêter de penser à demain. Célébrez, chantez, rejoignez la danse, dansez encore, même si cela vous fait paraître indigne. La joie baigne la vie de lumière et libère l'âme de la prison du moi.
Chag Sameach
Page d’origine : Kohelet: Radical Joy
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